Bernard, éleveur bovin viande
Changer ses représentations

Dans un contexte difficile pour vivre de son exploitation, il a fallu faire des choix, sortir des sentiers battus ("standard"), mettre en place la commercialisation de sa production et la faire évoluer. En choisissant la vente directe et en cherchant à optimiser son système, Bernard a aussi compris que rien n’était figé et qu’il était important d’échanger pour s’ouvrir de nouvelles portes.

Une forte densité paysanne

J’ai 50 ans cette année (2010). Je suis agriculteur éleveur dans la montagne basque, plus exactement dans la vallée de la Soule. Dans ma commune de 85 habitants, nous sommes 14 agriculteurs sur 150 ha de terres cultivables dont deux sans suite en vue. Les activités agricoles sont essentiellement l’élevage avec des productions classiques d’ovins et de bovins. Il y a aussi un élevage d’engraissement de porcs, un atelier de plantes médicinales, un ha de kiwi, deux agriculteurs coopérateurs dans une fruitière fromagère et quatre exploitations engagées dans une démarche de vente directe de viande Toutes les exploitations sont menées par un seul actif. Un remembrement a été réalisé voila deux ans pour pallier au morcellement et à l’éparpillement des parcelles.

Une exploitation en vente directe

Mon activité consiste à la fois à élever un troupeau de 30 adultes blondes d’aquitaine et à vendre en direct de la viande de bœuf et de veau. Aujourd’hui, je cultive 24 ha dont 15 labourables et j’utilise aussi la montagne quatre mois l’été pour une partie du troupeau. Je cultive 4ha de maïs pour l’ensilage distribué sur les 5 mois d’hiver et le mois d’août aux animaux qui ne transhument pas .Les 20 ha d’herbe produisent du foin et le la pâture. J’engraisse des animaux toute l’année avec une ration à base de céréales et de protéines achetées soit directement à des agriculteurs, soit à la coopérative et broyés et mélangés sur l’exploitation. L’abattage, la découpe et le conditionnement de la viande sous vide en carton est réalise en prestation par l’abattoir communal de Mauleon. Les colis sont ensuite soit livrés directement soit expédiés.

Je travaille seul sur l’exploitation. Le travail d’astreinte est limité surtout l’été mais la vente occasionne des coups de bourres importants. Pour cela, j’ai mis en place un système de vente avec des dépositaires qui réceptionnent les cartons et les redistribuent ensuite.

Installé à 40 ans, un parcours de salarié

Fils de paysan, j’ai repris l’exploitation familiale à 40 ans. Orientée jusque là sur des activités ovins lait – bovins viande, j’ai choisi par goût personnel et par connaissance de mettre en place l’activité bovins viande au prix d’investissement très (trop) importants.

graphique à faire

Les expériences de salarié que j’ai vécues m’ont fait connaître des conditions de travail difficiles (horaires, tensions diverses, pression, etc.). Elles m’ont aussi permis de connaître des modes de production variés avec leurs intérêts et leurs limites et d’envisager, au bout du compte, des possibilités concrètes d’installation. Parallèlement, je me suis constitué un réseau d’amis sur lequel je me suis appuyé pour amorcer la vente directe. Enfin, ces différentes ruptures m’ont montré que l’avenir n’est pas écrit, et qu’il faut faire des choix. Reste que ce choix d’installation à mon compte a pu se faire uniquement parce qu’il a été accepté par la famille.

L’installation a été la réalisation d’un rêve avec son cortège de désillusions que ce soit les blocages vécus avec les collègues agriculteurs ou les relations avec la banque. J’ai gardé de cette période le sentiment de ne pas être crédible. De fait, mon projet nouveau à l’époque inspirait la méfiance.

Des choix primordiaux

Dès la première année d’installation, le troupeau que j’avais acheté 87000€ ne valait plus que 60000€, du fait de la vache folle. Pour obtenir des crédits en warrantant le troupeau, cela n’aide pas. Ceci dit, j’ai très vite compris que la vente directe était incontournable pour me tirer d’affaire. J’avais intérêt à m’éloigner du standard de la production auquel j’avais contribué dans mon travail salarié.

Ainsi, j’ai décidé d’investir dans un broyeur mélangeur pour fabriquer l’aliment à la ferme. Compte-tenu de l’engraissement, cela représentait 3000€ d’économie. J'ai acheté un jeune taureau et je n'ai plus eu recours à l'insémination artificielle ainsi qu’au contrôle de performances (système de pesée régulière permettant de mesurer les variations de poids en production bovins viande). Ces deux postes représentaient économiquement 2500€ mais bien plus sur le plan relationnel à l’intérieur de cette filière où la génétique est le pivot. Cela faisait partie du "standard" de la profession.

Cette première prise de risque et d’incertitude à la fois sur le montant total d’investissement nécessaire et sur les résultats de l’exploitation a débouché sur une situation satisfaisante au niveau des résultats et de l’organisation du travail. Cela m’a vraiment rassuré quant à la faisabilité de mon projet et malgré quelques points noirs d’ordre sanitaire dû au coût d’élevage des génisses.

2008 une remise en cause brutale des équilibres

A partir de 2007, les prix des intrants ont augmenté de 20000€ sur deux ans. Le revenu a chuté, la trésorerie est devenue tendue et les prélèvements privés ont été mis en cause. La sérénité que j’éprouvais jusque là, compte tenu des marges de manœuvre que je percevais a volé en éclats. Jusque là, je n’avais jamais douté que je pourrais rester agriculteur jusqu’à la retraite. Pour quelqu’un qui venait de s’engager lourdement (18000€ d’annuités), la partie s’avérait serrée.

Pas seulement comprimer les charges, revoir le système

Dans un premier temps, le troupeau était composé de 40-45 mères et 30 génisses dont une partie était mise en pension l’hiver. Le vêlage se faisait l'hiver pour que les bêtes puissent monter en transhumance l’été. Les vêlages étaient groupés ce qui impliquait des lots importants de veaux à vendre en même temps. En raison de l'hiver, des problèmes sanitaires importants apparaissaient en milieu confiné (diarrhée, grippe nombril) et cela représentait un manque à gagner sur les veaux vendus dans le circuit classique du fait du surnombre ou de ces problèmes sanitaires. Je ne pouvais pas assurer la vente en direct de tous ces veaux sur un période aussi courte.

Ainsi, j’ai décidé, à contre courant du mouvement général dans la production, de passer à 30 adultes, de désaisonnaliser les vêlages, d’élever les génisses sur l’exploitation, de les envoyer en transhumance ainsi qu’ 1/3 des adultes en fonction de leur date probable de vêlage.

Une remise en cause de ma philosophie de vente

Au début de la vente directe en dehors des engagements que j’avais pris auprès des clients, j’avais fixé le prix à 10 € pensant fermement pouvoir le maintenir avec des augmentations marginales. J’ai du me rendre à l’évidence que ce prix qui avait un sens pour moi en terme d’accès à une alimentation de qualité pour tous devrait évoluer au rythme de mes charges. De fait, on est à 12 € aujourd’hui au risque de s’entendre dire qu’on augmente beaucoup ou que ceux qui payaient en quatre fois n’achète plus.

Par ailleurs, les veaux qui sont en surnombre à certaines périodes sont transformés en hachoa (Plat cuisiné vendu en verrine avec piments et oignons…) ; produit disponible toute l’année sans contrainte de froid. Par ailleurs, dans mon projet basé sur la production et la vente de viande, la variable d’ajustement est le poids des carcasses des veaux. Ainsi, selon les années, je suis passé de 350 kg de carcasse à 220 kg par veau. Je peux ainsi augmenter la quantité de viande vendue sans modifier les équilibres.

Réfléchir ensemble

Cette crise – et il y en aura d’autres - m’a montré que ce soit pour nous ou pour les laitiers l’intérêt d’échanger sur les modes de productions et de commercialisation, les idées toutes faites et celles qui pourraient tenir la route.

Au bout de compte, je ne suis plus sûr de rien et je suis plus attentif à d’autres possibilités de produire (par exemple, achat de lisier au producteur de porc) ou de vendre (site internet collectif).